Grâce à la générosité du Réseau canadien des montagnes, j’ai récemment eu la très rare occasion en tant qu’étudiante au doctorat de participer au Sommet sur les zones de haute montagne à Genève, Suisse, du 29 au 31 octobre. Le Sommet est organisé par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et vise à favoriser un dialogue à haut niveau, à mobiliser les dirigeants et à élaborer une feuille de route vers une base de connaissances axée sur la science ainsi que sur les utilisateurs. Comme jeune chercheure qui étudie les montagnes du nord-ouest du Canada, je suis constamment entourée de scientifiques qui ont des vues similaires. Ces scientifiques reconnaissent non seulement les impacts terrifiants du changement climatique dans les régions alpines et la cryosphère, mais passent la majorité de leur carrière a essayer de mieux comprendre ces changements. Cette expérience m’a toutefois ouvert une perspective rafraîchissante sur la façon dont nos décisions en tant que scientifiques se traduisent en changements tangibles et significatifs sur la scène mondiale.
Au cours de ces trois jours, 200 dirigeants mondiaux, scientifiques et politiciens provenant de 45 pays ont discuté des changements rapides et sans précédent qui se produisent dans les régions montagneuses du monde entier en raison de l’accélération du changement climatique exacerbé par les activités humaines.
Les discussions de la réunion étaient centrées sur les thèmes suivants :
1) Forces motrices pour l’action et les avantages sociétaux ainsi que l’urgence de services hydrométéorologiques et climatiques coordonnés et durables.
2) Identifier les besoins prioritaires des utilisateurs en matière de connaissances socialement pertinentes, urgentes et nécessaires pour appuyer le développement durable et la réduction des risques liés au changement climatique.
3) Comment combler les lacunes en matière de prévisions et de services météorologiques, hydrologiques et climatiques dans une cryosphère en constante évolution, lesquels sont axés et adaptés à l’utilisateur.
4) Améliorer les observations en montagne et l’accès aux données grâce à des systèmes intégrés de prévision des montagnes.
5) Recherche, innovation et synthèse – exploiter les progrès scientifiques actuels pour améliorer la capacité de prévision nécessaire pour combler les lacunes en matière de services et d’information.à
Les points communs des discussions par les experts et de dirigeants politiques sur ces thèmes étaient l’urgence d’agir et la nécessité d’une coopération internationale et interdisciplinaire. Chaque conférencier disposait d’un strict maximum de 10 minutes et a utilisé son temps pour souligner que les risques pour la cryosphère se produisent maintenant à un rythme élevé et à grande échelle. Ce message est pertinent aux régions de haute montagne d’Amérique du Nord ou du Sud, d’Asie, d’Afrique ou d’Europe. Comme l’a dit Shawn Marshall, conseiller scientifique auprès du sous-ministre (Environnement Canada), « la cryosphère est assiégée ».
Les montagnes sont des centres de diversité biologique et culturelle, et de savoirs traditionnels. Les régions montagneuses abritent 1,1 milliard de personnes et fournissent les ressources en eau douce pour la moitié de l’humanité. Les personnes vivant dans ces zones de haute montagne sont généralement les plus vulnérables à l’insécurité alimentaire et les plus marginalisées, avec une personne sur deux vivant dans des pays en voie de développement. Les changements climatiques d’origine anthropique entraînent des changements sans précédent dans l’hydrologie des montagnes, modifiant et détruisant des écosystèmes cryosphériques critiques. Tout ceci compromet les moyens de subsistance de la population locale et menace les ressources en eau douce provenant des rivières de montagne. Comme l’a déclaré John Pomeroy, directeur de Global Water Futures, « Nous devons reconnaître que les montagnes sont à la fois un risque et une ressource, et les montagnes sont très vulnérables au changement climatique ». L’évolution des fonctions hydrologiques des hautes montagnes et de la cryosphère a des répercussions sur l’agriculture, la foresterie, la production alimentaire, la production hydroélectrique, les transports, la culture, le tourisme, les loisirs, les infrastructures, l’approvisionnement en eau domestique et la santé humaine.
L’adaptation à ces changements nécessite une coopération transfrontalière et des cadres politiques appropriés. Nos frontières ne sont pas délimitées par les bassins versants, mais par des frontières politiques. Les parties prenantes de divers secteurs sociaux et économiques et les communautés locales ne participent pas souvent de manière appropriée à l’élaboration des mesures d’adaptation. Mandira Shresthan et David Molden de l’ICIMOD (Centre international de mise en valeur intégrée des montagnes), ainsi que beaucoup d’autres conférenciers, ont souligné la nécessité de combler les lacunes entre les informations climatiques et l’utilisateur. En outre, nombreux ont souligné que les décisions concernant les ressources de montagne sont souvent prises en dehors des zones alpines. Nous devons unir nos efforts de surveillance, d’observation et de prévision pour nous assurer que nos données sont communiquées le plus efficacement possible à l’échelle locale, régionale, nationale et mondiale. Daniel Kull (Banque mondiale) a souligné que les solutions mondiales résident avec l’engagement des gens et des institutions, et que les communautés devraient être à l’avant-garde.
Dans ces régions, la logistique demeure difficile pour la surveillance, l’observation et les prévisions météorologiques. Difficiles d’accès et d’entretien, les stations météorologiques sont responsables de traduire les données en temps réel pour les communautés nécessitants cette information en cas de catastrophe, comme les avalanches et les inondations. La plupart de nos modèles hydrologiques et notre compréhension des processus ont été développés sur des terrains plats et ne peuvent être appliqués dans le contexte complexe et spatialement variable des montagnes et de la topographie escarpée. Comme l’a souligné Richard Essery (International Association of Cyrospheric Sciences-UK), « Nous ne sommes plus au Kansas. » Le Sommet s’est penché sur les activités scientifiques prioritaires, notamment le couplage entre la surface des chaînes de montagnes et l’atmosphère et la modélisation régionale du climat à une plus haute résolution spatiale (<1 km). D’autres priorités incluent les modèles couplés atmosphère-cryosphère-hydrologie et la recherche interdisciplinaire et intégrée, particulièrement les risques et vulnérabilités des systèmes socio-écologiques.
La réunion s’est terminée par une synthèse et un appel à l’action adopté par tous les participants du Sommet. Les participants se sont engagés à « s’assurer tous les habitants des montagnes, incluant ceux qui vivent en aval, aient accès à des informations et à des connaissances hydrologiques, météorologiques et climatiques adaptées à leurs besoins et qui reconnaissent l’importance des régions montagneuses pour la cryosphère, l’approvisionnement en eau douce et les services écosystémiques pour toute la planète. » Cet engagement encourage les gouvernements à revoir et à actualiser leurs politiques de coopération internationale, à proclamer une Année internationale de la montagne des Nations Unies, à explorer un cadre mondial pour les montagnes et à fournir des ressources financières et humaines pour le fonctionnement durable à long terme des infrastructures afin que d’offrir des services adaptés aux utilisateurs des écosystèmes cryosphériques alpins.